(photo-montage Yannick Frank)
En rouge le numéro de la photo dans le livre
Le 21 août 1914. - Le premier soldat français, un dragon descend la ville ; d'une main il tient sa carabine prête à faire feu, de l'autre il bride sa monture. Son oeil vif cherche l'ennemi. Ce n'est pas la foule sereine des habitants accourant sur son passage, qui l'émeut. A chaque coin de rue il redouble d'attention. Enfin il s'est assuré que l'ennemi a évacué, et il revient, sa carabine en bandoulière, fumant une cigarette. Il répond maintenant aux acclamations encore timides de la foule. - Deux heures plus tard, le 152e Régiment d'Infanterie fait son entrée triomphale à Wintzenheim. Vive la France ! Nous sommes français et 44 ans de séparation sont oubliés.
Débordante de joie, la population se porte dans la rue pour saluer nos libérateurs. - On pleure, on s'embrasse ; au soir les restaurants se remplissent : soldats et civils trinquent, en frères retrouvés, à la victoire française. Jamais je n'ai vu tant de bonheur, autant d'heureux et pourtant c'est la guerre et même elle se déroule dans nos murs. Toute la chaîne des Vosges du Haut-Rhin est en possession des Français, Mulhouse, Thann, Cernay, Guebwiller sont délivrés ; les patrouilles françaises s'avancent jusqu'à Colmar, déjà abandonné par les Allemands qui paraissent avoir évacué jusqu'au Rhin, leur ancienne et vraie frontière.
Notre délivrance, hélas, ne devait être que le signe précurseur de la libération définitive. - Fidèle à sa mauvaise foi, au mépris des traités solennels, l'Allemand a violé la Belgique pour surprendre la France du côté le plus vulnérable, afin de faire plus ample conquête.
Les forces françaises qui devaient marcher vers le Rhin, sont reportées vers le Nord de la France et la Belgique pour arrêter l'envahisseur.
Notre commandant de place, le colonel Dossert, se dispose avec son régiment à se replier vers la crête des Vosges sur des positions quasi inexpugnables. Les officiers et les soldats nous font leurs adieux et nous rassurent en disant qu'ils reviendront les mains dans les poches. - Consolation cependant peu rassurante.
28 août 1914. - Nous descendons du Tabor pour monter au calvaire. Voyant que les Français n'avancent plus, le général allemand Deimling avec ses Landwehr badois et würtembergeois prend l'offensive. Nous sommes bombardés durant deux heures par les schrappnells* allemands, alors qu'il n'y a presque plus de soldats français dans la ville.
Ingersheim est au niveau du front et a beaucoup souffert des obus allemands. 30 maisons y sont gravement endommagées ou brûlées..
Le dernier Français passe sous ma fenêtre ; c'est un poilu de la réserve, à la barbe de prophète antique... il s'arrête, lève son poing fermé vers les prussiens et dit ces mots devenus prophétiques : "Attendez, nous vous aurons là-derrière" ; et il part.
* Shrapnel : obus à balles, du nom de son inventeur, Henry Shrapnel (1761-1842).
020 25 août 1914 - Près du 110 rue Clemenceau. Le Colonel Dossert et son État-Major près de la chapelle Notre-Dame. (Photothèque SHW 598) |
En colonnes serrées, les Allemands remontent la Grand'rue ; de leurs lourdes bottes ils frappent le pavé et semblent nous marcher sur le cœur. C'est une légion infernale. - Par crainte du bombardement, les habitants ont fermé les volets de leurs fenêtres et se réfugient dans les caves. Personne n'attend ces boches et cela les rend furieux. Au cri de "ouvrez les volets" (Läden auf) ils parcourent les rues, voyant en nous des ennemis, craignant de trouver dans chaque maison des soldats français cachés, alors qu'il n'en est rien. Leurs baïonnettes se croisent sur les poitrines des civils, des volets sont brisés à coups de crosse ; des habitants sont soupçonnés d'avoir tiré sur eux. Dans la chapelle "Notre-Dame du bon Secours", un allemand tue son camarade qu'il prend pour un soldat français et s'en va. Ceux qui suivent accusent le sacristain Ingold, qu'ils trouvent dans la cave de sa demeure, attenante à la chapelle, d'avoir été le meurtrier. On parle de le fusiller quoiqu'il proteste de son innocence et qu'on ne trouve aucune arme chez lui. Enfin, le soldat qui avait tué son camarade revient et reconnaît son erreur. Ingold est sauvé. - Heureusement que nous savions la langue de ces enragés, autrement il y aurait eu des massacres comme en Belgique et ailleurs.
Ainsi sont revenus après huit jours seulement d'absence, les Allemands, ceux qui prétendent être nos frères de sang, les mêmes qui précédemment, lors de leur retraite, venaient chez nous, affamés, et mangeaient les provisions qu'on leur donnait par pitié et sur ordre de leurs chefs, alors qu'ils manquaient de ravitaillement...
Source : photo et textes extraits de "Sous les drapeaux de l'envahisseur - Mémoires de guerre d'un Alsacien ancien combattant 1914-1918", Eugène Bouillon.
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Lire aussi : "Été 1914, Wintzenheim dans la tourmente", un article très bien
documenté de Ludovic Conte (20
pages avec illustrations)
paru dans l'Annuaire n° 2 - 1998 de la Société d'Histoire de Wintzenheim.
Les photos qui suivent sont dues principalement à Auguste Andrès (1881-1945), chimiste et photographe. Ingénieur chimiste, il possédait son propre laboratoire dans un petit bâtiment situé en bordure de la rue Principale, à gauche de la maison où habitait la famille Andrès (rue Clemenceau / angle rue du Galz). Il y fabriquait l'encre que lui achetaient les écoles et les enfants de la commune. Il produisait également la sciure colorée destinée aux autels érigés pour la procession de la Fête-Dieu.
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Auguste Andrès (à gauche) joue aux cartes dans son laboratoire avec ses amis. |
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La maison Andrès, construite vers 1880, possédait une toiture avec
mansardes et se trouvait rue Clemenceau / angle rue du Galz. A gauche, le
laboratoire d'Auguste Andrès. A l'arrière, la "Fawrikla",
petit atelier des tissages Haussmann. |
Auguste Andrès était également photographe, et développait ses clichés dans son propre laboratoire. Il a laissé de nombreuses photos de Wintzenheim réalisées durant la période 1910-1920, et notamment une série de clichés retraçant la vie des soldats allemands en garnison dans la commune pendant la guerre de 1914-18. Ce fonds qui a aujourd'hui valeur d'archives a pu être sauvé grâce au collectionneur Edmond Schillinger.
023 Étiquette de 1915 pour boite à photos (collection Guy Frank) |
Avec ses amis, l'instituteur Jules Rudloff (le fils du sculpteur qui a créé le monument aux morts de Wintzenheim en 1921) et Auguste Haeffele (né en 1889 et qui deviendra maire en 1953), Auguste Andrès avait créé vers 1915 le premier club-photo de Wintzenheim, comme en témoigne cette étiquette comportant les initiales A (Andrès), R (Rudloff), H (Haeffele).
Les légendes des photos qui suivent ont été rédigées en s'inspirant de la chronique de l'école de filles tenue à partir du 1er novembre 1913 par la communauté des Sœurs enseignantes de Wintzenheim. Cette chronique, dont l'original est archivé au couvent de Ribeauvillé, a été instaurée dès l'arrivée de la supérieure Sœur Mathias. Elle relève, jour après jour, les événements qui ont marqué la dure vie de l'école, mais aussi celle de la commune, durant toute cette période 1914-18.
024 - Les Sœurs enseignantes de Wintzenheim avant la Première Guerre Mondiale. Assise au milieu, la supérieure Sœur Pierre (Louise Mathias, née le 24 juin 1864 à Weyersheim, décédée le 19 décembre 1918 à Wintzenheim) venue le 29 octobre 1913 d'Achenheim près de Strasbourg où elle dirigeait la Communauté depuis le 15 octobre 1906. (Photothèque SHW 520) |
Les textes manuscrits, écrits en allemand gothique du 1er novembre 1913 au 15 novembre 1918, ont été retranscrits et traduits par le professeur d'histoire à la retraite, Charles Zumsteeg de Colmar, puis traduits par Jacqueline Strub, membre de la Société d’Histoire de Wintzenheim.
025 Automne 1914 - Avenue de Lattre. |
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1914-18 - 103 rue Clemenceau. |
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Juin 1915 - Route de Munster à Wintzenheim. |
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Juin 1915 - Route de Munster. |
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029
Juin 1915 - Route de Munster à Wintzenheim. |
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030 Juin 1915 - 91 rue Clemenceau.
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031 Juin 1915 - Aux environs du 107 rue Clemenceau. |
032 Juin 1915 - Devant le 1 rue Clemenceau (maison de retraite).
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1915 - Rue Albert Schweitzer. |
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034 1915 - Dans la cour de la maison Andrès. |
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1915 - Dans la cour de la maison Andrès. |
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036 1915 - Dans la cour de la maison Andrès. |
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037 1915 - Dans la cour de la maison Andrès. |
038
1915 - Dans la cour de la maison Andrès. |
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039 1915 - Devant la maison Andrès. |
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1915 - Près du 96 rue Clemenceau. |
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041 1915 - Devant la maison Andrès. |
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Hiver 1915-16 - Derrière la Chapelle Notre-Dame. |
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Hiver 1915-16 - Derrière la Chapelle Notre-Dame. |
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Hiver 1915-16 - Derrière la Chapelle Notre-Dame. |
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1916-17 - A l'arrière de la maison Andrès. |
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046
1914-18 - A l'arrière de la maison Andrès. |
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047 1915 - Dans la cour de la maison Andrès. |
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1915 - Dans la cour de la maison Andrès. |
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049
15 août 1915 - Route de Colmar près de la Croix-Blanche. |
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15 août 1915 - Route de Colmar près de la Croix-Blanche. |
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051 28 juin 1915 - Rue Clemenceau devant la place de l'Église. |
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052
Juillet 1915 - Rue Clemenceau devant la place des fêtes. |
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Avril 1915 - Devant le 56 rue du Mal Joffre (Schaffar). |
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Juillet 1915 - Devant la maison Andrès. |
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1915 - Devant la maison Andrès. |
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1914-18 - Logelbach. |
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1915 - Saint-Gilles. |
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058
1915 - La Forge. |
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059
1914-18 - Saint-Gilles. |
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1915-16 - Saint-Gilles. |
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061 1914-18 - Saint-Gilles. |
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062 1914-18 - Saint-Gilles. |
Ce dimanche 17 novembre 1918, Wintzenheim a offert aux chers Français une réception splendide. Déjà quelques jours auparavant on était occupé secrètement à faire des drapeaux tricolores et des guirlandes. Au jour fixé, tout le village présentait une vue superbe.
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(Photothèque SHW 635) |
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064 (collection Fernande Gavillot-Scherrer)
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17 novembre 1918, rue Clemenceau : entrée triomphale des troupes françaises à Wintzenheim.
A gauche, on distingue les épiceries Albert Stoll et Ecco alors situées 79 et 81 rue Clemenceau.
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(Photothèque SHW 637) |
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066 - Photo GU-D06
(Photothèque SHW 638) |
Un arc de triomphe a été érigé devant la mairie avec l'inscription "Vive la France ! Vive l'Alsace !". La population attendait avec impatience l'arrivée des vaillants libérateurs. Un cortège d'Alsaciennes, précédé par le vieux drapeau de 1870 depuis ce temps là soigneusement caché, allait à leur rencontre. Vers 14 heures une Division parut dans la vallée de Munster, qui devait se partager dans les environs. Les 3500 soldats qui devaient occuper notre village se trouvaient encore en chemin. Tout à coup des cris d'enthousiasme se firent entendre de tous côtés :
"Soyez les bienvenus ! Vivent nos libérateurs ! Vive la France !".
067 - Photo GU-D03 (CV-103)
(Photothèque SHW 642) |
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068 - Photo GU-D04 (CV-23) (Photothèque SHW 641) |
17 novembre 1918 : les troupes françaises défilent à Wintzenheim.
A gauche, l'hôtel de ville. Sur l'arc de triomphe, on peut lire "Vive la France".
069 - Photo GU-D05 17 novembre 1918 : les troupes françaises sont accueillies sur la place de l'église par la population de Wintzenheim en liesse. De mémoire d'homme, on n'avait jamais vu autant de monde sur la place de l'église. Au fond, les officiers à cheval. (collection Jean-Pierre Meyer) |
Monsieur le colonel Rapp entouré de ses officiers s'arrêta sur la place de l'église. Les clairons entonnaient la Marseillaise qui a été écoutée pour la première fois avec une vraie dévotion par une immense foule, le colonel assis sur son cheval, l'épée en l'air, et les soldats plantés autour de lui. Monsieur le Curé Alphonse Straumann et Monsieur le Maire René Birgy ont prononcé des discours. Mademoiselle Marie Grad s'adressa au colonel et à ses troupes par ces mots :
Messieurs les officiers et soldats de France,
Permettez à une jeune fille de Wintzenheim de vous remercier en ce jour d'être venus au milieu de nous en libérateurs, d'avoir chassé devant vous ceux qui depuis si longtemps étaient pour nous de farouches conquérants. L'heure est venue où nous pouvons respirer librement à l'entrée de notre belle vallée, nos cœurs battent à l'unisson avec le cœur français. Vous pouvez le constater en traversant nos villes et nos villages, partout vous trouverez le même enthousiasme, partout le même accueil cordial, partout la même joie, le même bonheur. Merci d'être venus !
Le jour de votre entrée à Wintzenheim sera pour vous tous un jour inoubliable et sera écrit en lettres d'or dans nos annales. Et comme gage de notre affection pour la France et pour l'armée française, veuillez accepter, Monsieur le Colonel, ce bouquet.
Vive la France notre libératrice !
Vive la vaillante armée Française !
Vive l'Alsace française !
Source : textes tirés de la Chronique des Sœurs enseignantes de Wintzenheim.
1918 - Le ministre de l'agriculture prussien a déclaré la guerre à la race porcine. - "Le porc, dit-il, c'est le neuvième ennemi de l'Allemagne". Pourquoi ? parce qu'il mange de préférence les patates et le blé. Hérode d'un nouveau genre, il a frappé de la peine capitale tous les porcelets jusqu'à l'âge de trois mois. Ainsi périrent en un seul jour à Wintzenheim 60 petits cochons ; ce fut en somme pour l'Allemagne une victoire rapide et complète. - On ne voit plus aucun homme gros ; finis, les 100 kg ; tout le monde a dû serrer sa ceinture, seul notre gendarme H. put se payer le luxe d'un festin pour la première Communion de sa fille et il ne lui coûta pas cher du tout. C'est en effet ce gendarme qui donne l'avis favorable ou défavorable : "Non suspect ou suspect d'opinion politique anti-allemande" aux permissionnaires, pour que ceux-ci puissent revoir leur famille, et l'ostracisme du gendarme est sans appel. Pour attirer sa clémence sur leur mari mobilisé, les femmes des cultivateurs lui font à l'occasion une agréable surprise.
Source
: "Sous les drapeaux de l'envahisseur - Mémoires de guerre d'un Alsacien
ancien combattant 1914-1918", Eugène Bouillon.
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GU-C39
1918 - 49 rue Clemenceau. |
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